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- Bulletin 2002
- Le consentement éclairé du patient : le point de vue du chirurgien
Prof. J.P. SQUIFFLET
Récemment, un groupe de travail mis en place par le Conseil provincial du Hainaut a tenu un séminaire auquel étaient conviés les membres des autres Conseils, pour se pencher sur le problème du consentement éclairé.
Bien sûr, ce problème du consentement du patient s'inscrit dans un domaine plus large, à savoir : une loi-cadre définissant les droits des patients vis-à-vis des prestataires de soins.
Ce texte s'inscrit dans la ligne de ce qui a été défini par les Tribunaux de Nuremberg et, ultérieurement, les Déclarations internationales de la World Medical Association et, plus récemment, la Déclaration d'Helsinki (1975) et de Lisbonne (1981).
Vous trouverez, ci-dessous, les récents développements et principes qui régissent ces situations.
1. INTRODUCTION
Aujourd'hui, les chirurgiens, qu'ils pratiquent dans les hôpitaux publics, privés ou dans des cliniques universitaires (1), se posent trois questions fondamentales relayés en cela par leurs associations scientifiques (2) et/ou de défense professionnelle (3,4). Les questions sont les suivantes :
D'abord, y a-t-il nécessité d'introduire des formulaires de consentement éclairé avant tout acte chirurgical ? Si oui, comment le faire et surtout comment rédiger ces formulaires ? Enfin, protègent-ils le chirurgien et/ou le patient ?
Le but de cet article est d'apporter une réponse parmi d'autres (2,4) à ces questions. Celle-ci devra être revue et corrigée en fonction de l'évolution juridique en la matière. Elle essaye de clarifier une situation complexifiée par des procédures imposées aux chirurgiens dans l'exercice de leur art.
2. LE BESOIN DU CONSENTEMENT ECLAIRE
Si le besoin d'informer le patient, de le rassurer avant une intervention chirurgicale, fait partie de la tradition hippocratique, l'évolution de la relation médecin-malade n'est plus seulement le dialogue singulier avec le développement des technologies de plus en plus complexes et l'hyper-spécialisation.
De l'obligation de moyens, on a basculé vers une obligation de résultats, par des lois de plus en plus contraignantes non adaptées au domaine médical, parfois en contradiction avec elles-mêmes, par également une médecine à deux vitesses où les plus démunis n'ont plus accès à tous les soins comme par le passé, du moins dans notre pays.
2. 1. De l'obligation de moyens à l'obligation de résultats
La règle de non-indemnisation s'appliquait régulièrement, dans le passé, aux accidents médicaux car ceux-ci ne résultent pas nécessairement d'une faute qui, au demeurant, devrait être prouvée. Un accident, en effet, peut encore au jour d'aujourd'hui résulter d'une erreur non fautive ou d'un cas fortuit que les médecins et chirurgiens appellent complication ou aléa thérapeutique. Le chirurgien ne peut donc davantage être rendu responsable d'une complication inévitable constitutive de cas fortuit. La responsabilité du médecin, du chirurgien, ne peut être engagée que s'il y a faute, dommage et lien de causalité, le patient devant apporter la preuve de la faute médicale (5). Cette règle de non-indemnisation sans preuve a eu trois conséquences. D'abord, elle a fait apparaître la règle de l'affrontement : c'est une obligation pour le patient d'accuser son médecin d'incompétence, de négligence ou, tout au moins, de maladresse s'il veut obtenir une indemnité. Patient et médecin sont donc obligés de s'affronter dans un véritable duel qui se termine par une défaite amère pour l'un d'entre eux. Ensuite, il y a eu la dénaturation du lien de causalité : la jurisprudence en arrive à décider que le médecin est tenu de réparer un dommage que, peut-être, il n'a pas causé. Enfin, il y a la déformation de la notion de faute de nouveau par la jurisprudence : le fait que d'autres chirurgiens agiraient de manière identique ne confère pas aux actes le caractère de prudence. La survenance même de l'accident implique une faute et le médecin est tenu de garantir le patient contre toute possibilité d'accident. On en arrive à une obligation de résultats lorsque le chirurgien a l'obligation de ne laisser aucun objet étranger; on en arrive à une obligation de sécurité lors de l'utilisation d'instruments. Alors que la jurisprudence traditionnelle décidait que le patient qui reproche à son médecin un défaut d'information, doit apporter la preuve de cette lacune dans l'information, la jurisprudence actuelle tend à imposer au médecin la charge de la preuve (5). Cela est clairement formulé dans la proposition de loi sur les droits des patients. Mais qu'en est-il de leurs devoirs ? Qu'en est-il des droits des médecins ?
Force est de constater que cela n'est pas abordé. Sans les devoirs des patients, sans les droits des médecins, seuls persistent les droits des patients avec un devoir d'information, un devoir également d'apporter pour le médecin la preuve de l'information. Ce devoir d'information du patient a pour corollaire le consentement éclairé et le recueil de la preuve.
2. 2. Les règles
Elles sont nombreuses. Cela commence par le Code de déontologie médicale qui, dans le chapitre 2, traite du médecin au service du patient (6). Avec les articles 29 et 33, il précise la relation avec le patient et la qualité des soins (article 36). Les termes de l'article 33, modifié le 15 avril 2000, sont les suivants : "Le médecin communique à temps au patient le diagnostic et le pronostic; ceci vaut également pour un pronostic grave, voire fatal. Lors de l'information, le médecin tient compte de l'aptitude du patient à la recevoir et de l'étendue de l'information que celui-ci souhaite…"
Plus récemment, en août 2001, l'article 34 § 2 a été modifié de la manière suivante : "La victime d'une faute médicale a droit à la réparation du dommage causé par cette faute et tout médecin doit être assuré à cette fin."
Ces règles sont également relayées dans l'European Guide of Medical Ethics (7) et étayées par les recommandations du Conseil national (7).
Celui-ci se penche, en 1990, sur le consentement du patient avant un traitement ou une opération. En 1997, c'est l'étude du formulaire de consentement éclairé lors de la participation à des essais cliniques. Enfin en 1998, le Conseil national émet un avis à propos du consentement à recueillir pour les personnes confuses. Ces avis sont disponibles sur le site www.ordomedic.be (7).
Aux règles nationales, il y a lieu d'ajouter les Déclarations Internationales de la World Medical Association (7), la Déclaration d'Helsinki (1975) reprise dans toutes les études cliniques, et mise à jour récemment. Il y a également la déclaration de Lisbonne sur les droits des patients (1981).
Enfin, il existe des recommandations européennes avec les GCP guidelines (Guide for Good Clinical Practice), la déclaration d'Amsterdam (1994) sur les droits des patients en Europe et la convention sur les droits de l'homme et la bio-médecine (1997).
Nos textes légaux sont nombreux. L'Arrêté Royal n° 78 du 10 novembre 1967 précise à l'article 7 ter (7) :
§ 1 : Sans préjudice des dispositions spéciales fixées en la matière et sauf état de nécessité, le consentement libre et éclairé du patient est requis pour les actes relevant de la médecine ou de l'art dentaire.
§ 2 : L'information qui précède le consentement visé au § 1er est supposée avoir été communiquée s'il ne s'agit pas d'actes majeurs. A la demande du patient et/ou lorsque le prestataire de soins le juge nécessaire, le consentement est donné par écrit.
§ 3 : En ce qui concerne les actes majeurs, le consentement visé au § 1er doit être donné par écrit. La charge de la preuve relative au consentement incombe au médecin et/ou au praticien de l'art dentaire.
- actes pouvant avoir des conséquences irréversibles;
- actes comportant davantage que des risques ou effets secondaires habituels;
- actes nécessitant une anesthésie générale;
- actes s'accompagnant ou occasionnant une altération de l'état de conscience;
- actes présentant un caractère expérimental.
§ 4 : Le refus ou le retrait du consentement par le patient est fixé par préférence par écrit sans que l'on puisse mettre un terme aux soins normaux.
La loi belge sur le don d'organes et la transplantation du 13 juin 1986 franchit un pas supplémentaire en précisant pour la première fois à l'article 8 § 2 (8) : "Le consentement à un prélèvement d'organes ou de tissus sur une personne vivante doit être donné par écrit devant un témoin majeur. Il sera daté et signé par la personne ou les personnes tenues d'accorder leur consentement et par le témoin majeur."
Au § 3, il est dit : "La preuve du consentement doit être fournie au médecin qui envisage d'effectuer le prélèvement". Un arrêté royal réglant le mode d'expression du consentement aux prélèvements d'organes et de tissus sur des personnes vivantes précise les renseignements qui doivent figurer sur l'enregistrement du consentement, sous peine de nullité :
- le nom et l'âge du donneur et, le cas échant, le nom, l'âge et le degré de parenté avec le donneur des personnes visées à l'article 6 § 2 et à l'article 7 § 2 de la loi;
- la date et la signature de la personne ou des personnes donnant leur consentement;
- le nom et l'âge du témoin majeur (une tierce personne éventuellement un membre de la famille). Celui qui doit donner son consentement en vertu de l'article 6 § 2 et 7 § 2 de la loi, ne peut pas être désigné comme témoin,
- la date et la signature du témoin majeur;
- le nom et l'adresse de l'hôpital auquel le consentement est communiqué, c'est-à-dire l'hôpital où s'effectuera le prélèvement d'organes ou de tissus. Le consentement sera enregistré dans le dossier médical.
D'autres lois requièrent également un consentement écrit comme celle sur la stérilisation/fertilisation, la recherche humaine, l'avortement, l'euthanasie, la chirurgie élective chez les mineurs d'âge sans oublier la loi sur la protection de la vie privée.
Enfin, la loi sur le droit des patients (10 décembre 1998), toujours en discussion devant le Parlement, devrait préciser le droit à être informé, le consentement du patient pour chaque examen médical ou traitement qu'il devrait subir, le droit de consulter et copier son dossier médical, les droits d'une tierce personne d'intervenir dans le respect de la dignité humaine et enfin, le droit d'être entendu en cas de plainte.
Outre les textes légaux, il ne faut pas négliger la jurisprudence et les décisions de la Cour de cassation Française (3). Le 25 février 1997, elle déclarait : "Celui qui est légalement ou contractuellement tenu d'une obligation particulière d'information doit apporter la preuve de l'exécution de cette obligation" et cela par n'importe quel moyen. Autre déclaration du 17 février 1998 : "L'obligation d'information doit porter non seulement sur les risques graves de l'intervention mais aussi sur tous les inconvénients pouvant en résulter". Enfin, le 7 octobre 1998, la Cour de cassation française déclarait : "…un médecin n'est pas dispensé de cette obligation par le seul fait que ces risques ne se réalisent qu'exceptionnellement".
2. 3. La médecine à deux vitesses
C'est maintenant une réalité à laquelle doivent faire face le médecin et le patient.
La faillite du système de santé fait en sorte que le montant du remboursement de la journée d'entretien, lors d'une hospitalisation, n'est plus couvert totalement par l'organisme assureur; certains médicaments et/ou matériel (celui de la chirurgie laparoscopique par exemple) ne sont pas remboursés; les frais indirects liés aux maladies chroniques ne sont pas pris en charge. Il en résulte un détournement des honoraires médicaux afin de compenser les lacunes du système tout en contribuant au progrès par l'introduction des nouvelles techniques.
Sur le plan médical, les conséquences du Numerus Clausus sont déjà évidentes avec l'engagement de jeunes médecins étrangers, dont les prestations ne sont ni reconnues, ni validables.
Quant aux contrats d'assurance en responsabilité civile, ils sont maintenant plafonnés, n'assurant plus une couverture complète, ne tenant pas compte de l'approche multidisciplinaire de la profession chirurgicale d'aujourd'hui, n'assurant aucune protection après la retraite, sélectionnant les spécialités à risques (5).
Il faut cependant reconnaître que le patient est tout aussi démuni : à qui doit-il s'adresser pour rechercher une compensation à une faute, une indemnisation face à un aléa thérapeutique ?
Les organisations juridiques des compagnies d'assurances, si elles prêtent une oreille attentive aux complaintes du patient, c'est certes pour le bénéfice de l'assurance. Il en est de même des experts médicaux liés à ces compagnies dont l'intérêt premier est loin d'être médical. Enfin, certaines associations de patients ne présentent pas toujours l'objectivité et la réserve nécessaire au traitement des affaires médicales.
De plus, la faillite du système de santé fait en sorte que les compensations financières sont limitées. Il en est de même des assurances "hospitalisation" copiant leur couverture sur des assurances de base insuffisantes. A cela ajoutons la lenteur des procédures judiciaires et les désavantages des actions disciplinaires auprès des Ordres Provinciaux qui, si elles offrent une compensation morale, n'en sont pas moins hermétiques n'informant pas le plaignant sur l'issue de la cause.
De tout cela, il en résulte l'introduction progressive des formulaires de consentement éclairé dans la pratique chirurgicale quotidienne comme preuve de l'information. Même si le Conseil national des Médecins ne se prononce pas sur la valeur juridique d'un tel document, il n'est pas favorable à l'utilisation systématique d'un tel formulaire qui, dit-il, doit rester réservé à des situations d'exception, lorsqu'un litige est réellement à craindre. Il risque, en effet, d'introduire un élément juridictionnel et, par là, une certaine méfiance dans la relation médecin-malade.
3. LE CONTENU DES FORMULAIRES DE CONSENTEMENT ECLAIRE
D'abord et avant tout, le formulaire de consentement éclairé doit être remis au patient en même temps que l'information, soit dans les jours ou les semaines qui précèdent l'intervention chirurgicale.
Si l'information est écrite, elle peut se faire sous forme de feuillets (certains sont disponibles sur le site de la Société Belge de Chirurgie : www.belsurg.org) ou de livrets à remettre aux patients. Le formulaire de consentement y fera référence et sera remis signé au chirurgien, la veille de l'opération.
Etant donné qu'il s'agit d'un contrat entre deux personnes, le chirurgien et son patient, il sera cosigné par chacun d'eux et établi en double exemplaire.
Il fera référence également à la visite préopératoire au cours de laquelle le patient a reçu l'information, la description générale du procédé chirurgical, ses conséquences, ses complications avec leur fréquence, les précautions prises afin de les éviter. Il comportera également la description des risques, qu'ils soient généraux ou spéciaux, les traitements alternatifs, les coûts éventuels du matériel, des médicaments, les suppléments d'honoraires chirurgicaux et autres (chambre, examens particuliers…)
Il signalera la possibilité d'être confronté à des problèmes inattendus et, enfin, dans le cadre de la protection de la vie privée, le fait que les données médicales anonymisées sont traitées dans des fichiers.
4. LA PROTECTION DU PATIENT ET DU CHIRURGIEN
Aucun formulaire de consentement éclairé, si précis soit-il, n'est parfait ou n'obtiendra l'approbation inconditionnelle d'un juriste (3). Il s'affinera face à l'expertise des experts médicaux ou des juristes ! Il ne protégera en rien le médecin qui avoue ou reconnaît une faute médicale car les assurances actuelles restent limitées (3,4).
L'introduction de la notion d'erreur sans faute freinera-t-elle l'insécurité croissante ? Cela sera difficile si l'on continue à parler d'erreurs plutôt que de complications ou d'aléas thérapeutiques (5).
Même si cette notion est reconnue, son corollaire est l'indemnisation. Mais qui paiera ? Un fond spécial devrait être créé. Restera à déterminer les contributions de chacun : l'Etat fédéral, les patients, les médecins, les honoraires médicaux ou les honoraires hospitaliers ? Autant de questions toujours sans réponse.
Cela n'empêchera nullement la justice de poursuivre son action en cas de faute, laissant le soin aux experts médicaux et juristes de traiter ces affaires avec, en arrière-fond, les compagnies d'assurances.
5. CONCLUSION
Le besoin d'information des patients est devenu aujourd'hui plus qu'un droit mais une nécessité absolue. Son corollaire est le consentement éclairé. Pour les chirurgiens, il est donc nécessaire d'avoir la preuve du recueil du consentement : les formulaires sont certainement un des moyens d'obtention. Il n'empêche qu'aucun de ces formulaires n'est parfait et ne protègera parfaitement le médecin et/ou son patient. Devant l'insécurité croissante, l'introduction de la notion d'aléa thérapeutique sans faute avec indemnisation pourrait dédramatiser certaines situations. Cela requiert, dans le futur, l'éducation des médecins et des patients et nous écarte du dialogue singulier de la tradition hippocratique.
Professeur J.P. SQUIFFLET, Président du Conseil de l'Ordre des médecins du Brabant d'expression française. Vice-Président de la Société Royale Belge de Chirurgie. Chef de Service de Chirurgie Endocrinienne, Transplantation Rénale et Pancréatique.
Références
(1) M.L. DRUART, J.P. SQUIFFLET Informed Consent : Principles and Recent Developments. Acta chir belg, 2000, 100 : 175-176
(2) L. PROOT, L. VANDERHEYDEN Informed Consent. Acta chir belg, 2000, 100 : 149-150
(3) P. MUYLAERT The patient's Informed Consent. Recent Evolution of the Case Low. The Physician's Point of View Acta chir belg, 2000, 100 : 151-155
(4) J. DUSESOI A basic understanding of the Judicial Procedure Acta chir belg, 2000, 100 : 165-168
(5) J.-L. FAGNART Fault, no fault, or, … Rev Dr Santé 2000-2001 – 2 : 110-112 (Nov-Dec 2000)
(6) Conseil national de l'Ordre des médecins Code de déontologie médicale Mise à jour 1997
(7) L. CORBEEL Informed Consent : Ethical Point of View Acta chir belg, 2000, 100 : 156-159
(8) J. P. SQUIFFLET Recueil de Procédures en matière de prélèvement d'organes et de tissus Université Catholique de Louvain, 2ème édition, avril 1997